Blog

Pourquoi la sensibilité au gluten semble augmenter

 

Depuis quelques années, on observe un intérêt croissant pour l’alimentation sans gluten, et ce phénomène suscite souvent des réactions sceptiques. On entend fréquemment : « Nous, on a mangé du gluten toute notre vie et on n’a jamais eu de problème », comme si le gluten n’avait jamais posé de difficulté à personne dans le passé. Pourtant, une analyse attentive de l’évolution de notre alimentation, de notre environnement et de notre compréhension scientifique montre que la situation est bien plus complexe.

Le gluten d'aujourd'hui n’est pas exactement le gluten de 1950, notre manière de le consommer a profondément changé, et notre façon d’appréhender les symptômes digestifs et immunitaires s’est elle aussi transformée. La hausse apparente des intolérances ou des sensibilités au gluten ne peut donc pas être réduite à une simple mode ou à une lubie passagère : elle s’inscrit dans une série de transformations biologiques, industrielles et sociétales qui influencent directement notre relation à cet aliment omniprésent.

L’évolution du blé

L’un des premiers éléments à considérer est l’évolution du blé lui-même. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le blé moderne est très différent des variétés anciennes consommées par nos grands-parents. Durant tout le XXe siècle, il a subi de nombreuses hybridations destinées à accroître les rendements, à améliorer la résistance aux maladies, à faciliter la culture mécanique et à optimiser la panification. Ces transformations n’ont pas rendu le blé toxique en soi, mais elles ont modifié la structure de certaines de ses protéines, notamment les gliadines et les gluténines, qui constituent le gluten.

 Certaines recherches suggèrent que la proportion de gliadines, les fractions du gluten les plus impliquées dans les réactions auto-immunes ou inflammatoires, a augmenté au fil des croisements variétaux. Même si ce facteur ne peut expliquer à lui seul la hausse des sensibilités, il contribue à créer un environnement alimentaire différent de celui dans lequel vivaient les générations passées.

La consommation de gluten aujourd’hui

Au-delà du blé, il faut également prendre en compte la manière dont nous consommons le gluten aujourd’hui. Le gluten est devenu un ingrédient quasi universel dans l’industrie agroalimentaire, où il est utilisé pour améliorer la texture, la tenue, la souplesse ou la conservation des produits. Cela signifie qu’en dehors du pain, des pâtes, des biscuits ou des pâtisseries, on en retrouve dans les sauces industrielles, les soupes déshydratées, les charcuteries, les plats préparés, les barres énergétiques, et même certains produits qui n’en nécessitaient pas traditionnellement.

Autrement dit, l’exposition quotidienne au gluten n’a rien de comparable entre une personne vivant en 1950 et une personne vivant aujourd’hui. Nous en consommons davantage, plus fréquemment, souvent sans en être conscients, et sous des formes plus concentrées et plus transformées. Une exposition chronique accrue peut favoriser l’apparition de sensibilités chez certaines personnes prédisposées sur le plan immunitaire ou digestif.

Les progrès du diagnostic médical

Il faut ensuite évoquer un aspect crucial : l’évolution du diagnostic médical. Il y a plusieurs décennies, la maladie cœliaque était considérée comme une affection rare, souvent détectée chez les enfants souffrant de malnutrition ou de troubles sévères. Aujourd’hui, on sait qu’elle concerne plus largement la population, qu’elle peut se manifester à tout âge et que ses symptômes varient énormément d’un individu à l’autre. Beaucoup de personnes souffraient probablement de la maladie cœliaque dans le passé sans que cela ne soit diagnostiqué, car les outils médicaux étaient moins performants, les médecins moins sensibilisés, et les symptômes souvent attribués à d’autres causes.

De plus, la reconnaissance récente de la sensibilité au gluten non cœliaque, une condition distincte à la fois de la maladie cœliaque et de l’allergie au blé, a permis d’identifier un groupe supplémentaire de personnes qui réagissent négativement au gluten sans présenter les marqueurs biologiques traditionnels. Ce trouble reste encore mal compris, mais de nombreux patients rapportent des améliorations notables suite à l’exclusion du gluten, ce qui contribue à l’idée d’une augmentation des cas alors qu’ils étaient simplement invisibles auparavant.

Le rôle du microbiote intestinal

Un autre élément fondamental dans la compréhension du phénomène est le microbiote intestinal. Il est désormais établi que les milliards de bactéries qui peuplent notre intestin jouent un rôle déterminant dans la digestion, l’immunité et la tolérance aux aliments. Or, le microbiote moderne est souvent moins diversifié et plus fragilisé que celui des générations antérieures. La généralisation des antibiotiques, le recours à des produits désinfectants, la diminution du contact avec la nature, l’augmentation de la pollution chimique et la consommation élevée d’aliments ultra transformés contribuent tous à affaiblir ou déséquilibrer la flore intestinale.

Une flore moins robuste peut influencer la capacité du corps à dégrader correctement certaines protéines, y compris les composants du gluten. Un microbiote appauvri est également associé à une perméabilité intestinale accrue, ce qui facilite le passage de fragments de gluten non digérés dans la circulation sanguine et peut déclencher une réaction immunitaire disproportionnée. Il ne s’agit pas d’un phénomène imaginaire, mais d’un changement biologique documenté dans plusieurs études.

L’influence de l’environnement et de l’inflammation

Il faut aussi tenir compte du fait que l’environnement global dans lequel nous vivons est plus inflammatoire qu’il ne l’était autrefois. L’exposition quotidienne aux polluants, aux pesticides, aux additifs, au stress chronique et aux particules fines contribue à augmenter ce que l’on appelle l’inflammation de bas grade, un état dans lequel le système immunitaire est constamment un peu activé.

Dans un organisme déjà en état d’alerte, la réaction à certains aliments, dont le gluten, peut être amplifiée. Ce contexte inflammatoire généralisé n’existait pas avec la même intensité il y a 50 ou 70 ans. L’effet combiné du stress, du manque de sommeil, des toxines environnementales et du rythme de vie contribue à fragiliser le système digestif et immunitaire, le rendant moins tolérant aux agressions alimentaires.

Le rôle de la perception sociale

Enfin, il serait impossible d’analyser ce phénomène sans aborder l’évolution de notre rapport à la santé et à l’alimentation. Aujourd’hui, les individus sont davantage attentifs à leurs symptômes, écoutent leur corps et disposent d’informations accessibles sur les liens entre alimentation et bien-être. Ce que nos grands-parents considéraient comme de simples maux d’estomac, nous l’identifions aujourd’hui comme un signe possible de sensibilité alimentaire.

La culture du bien-être, l’accès à la nutrition, l’influence des médias et des réseaux sociaux, ainsi que la démocratisation des tests de dépistage, ont tous contribué à rendre visibles des problématiques autrefois ignorées ou minimisées. Ce changement de perception crée l'impression que les intolérances explosent, alors que beaucoup existaient probablement déjà mais passaient inaperçues.

Vers une meilleure compréhension de la sensibilité au gluten

Ainsi, lorsqu’on examine l’ensemble de ces éléments (transformations du blé, multiplication des aliments transformés, meilleure compréhension des maladies, perturbation du microbiote, environnement plus inflammatoire et attention accrue au bien-être) il apparaît clairement que la sensibilité accrue au gluten n’est ni une fantaisie ni un phénomène artificiel. Ce n’est pas que les générations précédentes étaient plus résistantes ; c’est que le contexte alimentaire, biologique et culturel a changé.

 
Publicado en: SANTE ET BIEN-ETRE

Deja un comentario

Inicia sesión para publicar comentarios